L’antisystème dépouillé

Dans un domaine déterminé, comme par exemple celui des espèces végétales et animales, les doctrines ou théories sur le domaine finissent par converger en un point ou en plusieurs points. Cette théorie de la convergence suppose l’isolement des théories sur le domaine concerné, chaque théorie poursuivant son chemin sans contact avec une autre sur le même domaine d’étude et/ou de recherche. En regardant dans l’autre théorie sur le même domaine, une théorie perd son autonomie première au profit de  la doctrine concurrente. Lorsqu’elle ne s’arrête pas, cette perte d’autonomie peut aboutir à l’abandon pure et simple de la théorie dépendante. L’étanchéité des cloisons à l’intérieur desquelles se développent des théories sur un domaine donné est le meilleur moyen de voir surgir une ou plusieurs convergences entre elles.

Dans le cas des théories créationniste et évolutionniste sur les espèces végétales et animales, un des points de convergence est le moment où l’Homme est apparu. Les savants et théologiens musulmans – tous créationnistes – nous apprennent que l’Homme est créé par Dieu après que toutes les autres espèces animales l’ont été. Pour les évolutionnistes, les humains sont apparus au terme de la longue évolution des autres espèces animales. Le point de convergence des créationnistes et des évolutionnistes sur l’apparition de l’Homme après celle des autres espèces animales montre  qu’un temps s’est écoulé entre les deux apparitions. L’évolutionnisme, postérieur au créationnisme, ne serait donc qu’une confirmation de celui-ci par les moyens qui lui sont propres du fait de l’isolement d’où naissent les points de convergence entre doctrines ou théories dans un domaine précis. Créationnisme et évolutionnisme ne faisant qu’une et même théorie, d’après  ce raisonnement, notre analyse sur ce que l’on appelle «antisystème», opposé aux systèmes – car il y en a une pléthore – devient plus aisée.

Comment naissent les systèmes ?

En prenant appui sur le message universel dont il fut le porteur assidu toute sa vie durant, plutôt que de l’emprisonner dans l’appartenance à une confrérie – la Tijaniyya-, nous disons du savant sénégalais Cheikh Ahmed Tidiane SY – Serigne Cheikh – qu’il est un soufi, grand adepte de la doctrine – le soufisme – dont les principes fondamentaux sont «la foi en Dieu, l’imitation du Prophète Mahomet, l’étude du Coran et l’amour du travail».

Prenant la parole à Tivaouane, le 14 mai 2003,  à l’occasion de la célébration de la naissance du Prophète Mahomet, Serigne Cheikh consacra sa communication aux pouvoirs – au nombre de sept (le pouvoir-être ou âme, la raison, la conscience, la mémoire, l’intellect, la logique et le travail) – dont Dieu demanda aux sept secteurs correspondant de déléguer à l’Homme qu’il ne créa qu’après avoir fini d’établir tout le règne animal à travers les espèces, connues ou non encore connues,  qui le constituent. Doté de toute une administration, le pouvoir-être veille sur l’intégrité et la pérennité des valeurs dont la transmission au sein des communautés humaines est assurée par les envoyés de Dieu. Pendant ce temps, la raison a, elle, vocation à amoindrir la nocivité des anti-valeurs appréhendées à travers les tendances – inclinations, propensions – qui sont légion. De la démultiplication des tendances et de leur attractivité au sein des sociétés modernes naissent les systèmes dont les plus connus sont les systèmes politique, économique, financier, religieux, etc. Un système se définit alors moins par les éléments constitutifs, au meilleur des cas coordonnés par une ou plusieurs lois, que par les interactions entre lesdits éléments pour assurer l’équilibre que les acteurs en attendent. L’hypothèque sur l’équilibre attendu s’explique par la façon dont les tendances inhérentes aux systèmes se jouent des acteurs et la certitude pour chaque acteur d’être trop en avance sur le partenaire d’en face pour composer loyalement avec lui. Plutôt que de tirer d’affaire la société tout entière, les systèmes constituent à la longue des fardeaux dont il faut se débarrasser en prenant appui sur les pouvoirs délégués à l’Homme.

Fond, forme et résultats

Les systèmes politiques et leurs excroissances économique, social, culturel, etc. sont un cas d’école pour mieux appréhender les cinq pouvoirs restants (la conscience, la mémoire, l’intellect, la logique et le travail) délégués à l’Homme par les cinq secteurs complémentaires dès après sa création par Dieu. Dans le fond, la conscience, adossée à la mémoire du prometteur, intime l’homme politique à respecter ses engagements. Pour la forme, adaptée au fond, l’intellect fait bloc avec la logique de l’acteur politique. La sévère critique fondée et faite à Ousmane Sonko et à ses amis politiques avant le scrutin du 24 mars 2024 a toujours été d’attirer leur attention sur la forme inadaptée – lynchage numérique à travers les réseaux sociaux, appel à l’insurrection, mort d’hommes pendant les manifestations – au fond de leurs revendications et promesses politiques dans une démocratie capable de porter à la magistrature suprême le candidat que la presse étrangère dit être «l’inconnu que personne n’attendait».

Maintenant que les jeux sont faits, l’ultime pouvoir – le travail – conféré au nouveau président élu du Sénégal, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, par le septième et dernier  secteur délégant, permet d’engranger les bons résultats attendus par plus de 18 millions de Sénégalais d’ici 2029. Le rendez-vous manqué ou pas sera établi à l’aune des 69 «changements de systèmes» –  autant de réformes – consignés dans «Le Projet» du candidat où n’apparaît nulle part le mot «antisystème» dont le maniement inconsidéré dans les médias est plus pourvoyeur de voix qu’un programme que très peu d’électeurs lisent. Dans sa chronique – Libération (15 février 2017) – l’historien, professeur d’histoire contemporaine à Paris-Sorbonne, Johann Chapoutot, ne s’y trompe pas : « Le “Système” est riche de toutes les terrifiantes significations qu’on veut bien lui attribuer. Et les candidats antisystème ne cesseront pas de sitôt de faire prospérer ce petit capital sémantique.»

Dépouillement

Est trop facile pour tout le monde d’établir la manière dont le premier discours à la Nation, prononcé le 3 avril 2024, du nouveau président élu, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, rétablit la vérité sur les institutions de la République – principale pomme de discorde –  en laissant entendre que «les changements significatifs que nous venons de vivre de façon paisible, témoignent, une fois de plus, de la maturité de notre peuple, de la vitalité de notre démocratie et de la force de nos institutions. Nous devons tous être fiers de cette belle performance». Si la «performance» n’est pas celle du «système» décrié pendant une décennie d’opposition, elle n’est pas non plus l’exploit d’un «antisystème» fantôme. Inutile d’insister – c’est le Président qui parle – sur «notre liberté retrouvée», les  «pensées à nos vaillants résistants», le «vibrant hommage» rendu aux «prédécesseurs, les présidents Senghor, Diouf, Wade et Sall», la réaffirmation de «la reconnaissance de la Nation» aux «officiers, sous-officiers et militaires du rang, qui [ont] choisi le métier risqué des armes». «Le Sénégal, notre abri commun, que nous aimons tous, dit le Président, ne commence pas par nous, et ne finit pas avec nous.» Que faire alors d’autre que «revisiter les mécanismes existants, les améliorer et les rationaliser afin qu’ils répondent mieux aux besoins d’emploi et autres activités génératrices de revenus pour les jeunes»? À cet effet, rien de mieux que la «Norme ITIE» chipée au «Système». Il y a six ans déjà, dans le souci (pédagogique) de faire « comprendre l’industrie pétrolière et ses enjeux au Sénégal », l’ingénieur géologue Fary Ndao, auteur d’un essai bien écrit – ce qui est rare – intitulé « L’or noir du Sénégal » (Compte d’auteur, 2018), précisait qu’au « Sénégal, le CN-ITIE (Comité national – Initiative pour la transparence dans les industries extractives) est […] chargé de recruter un cabinet indépendant qui vérifie la conformité des données publiées correspondant aux revenus qui doivent être perçus par l’État et ceux qui sont effectivement perçus par l’État ».

Le président Faye ne s’y prendrait donc pas autrement pour dépouiller l’antisystème dont il ne dit d’ailleurs rien dans «Le Projet». Ramené à l’idéal créationniste et évolutionniste, l’antisystème n’est ni plus ni moins que l’exaltation incompétente des pouvoirs délégués au stade de la création de l’Homme et qui depuis constituent le meilleur prisme explicatif des tendances qui gangrènent les sociétés humaines modelées par mille un systèmes aussi perfectibles les uns que les autres.

Une chose est sûre : le moment venu, le grand reporter chinois Tik Tok assurera, auprès des plus jeunes d’entre nous, la promotion d’un ancien ou nouveau refrain pour un dégagisme nouveau. Celui de «Les Patriotes» a vécu puisque, avertit Diomaye, «le secteur privé international aura son plein rôle à tenir».

Abdoul Aziz DIOP

Fondateur de Pacte institutionnel (π)

 

 

 

 

 

 

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