Micro’Ouvert – Felwine Sarr, éditeur et producteur : «Le projet de Woti et Jimsaan, c’est de créer une maison des humanités»

Il est connu pour son travail dans la restitution des œuvres africaines, mais c’est aussi lui derrière Jimsaan, la maison d’édition du Goncourt 2021, Mohamed Mbougar Sarr. Et derrière Woti le label de musique. Felwine Sarr investit dans de nombreux espaces culturels où il mise sur la qualité et la singularité des œuvres.

Quelle est la philosophie derrière ce label, Woti ?
L’objectif de Woti, c’est de créer un label dans lequel on défend des produits singuliers. Une rencontre entre kora et textes, des rencontres improbables. Bien entendu, on produit aussi des albums plus classiques, mais on a vraiment envie de faire découvrir des univers singuliers. Et actuellement, on travaille avec une artiste mauritanienne qui a un univers intéressant. On travaille avec des Rwandais qui revisitent le répertoire de la musique traditionnelle ancienne et une artiste des Antilles. On recherche des choses qui ne sont pas habituelles.

Vous n’aimez pas la musique sénégalaise telle qu’elle est actuellement ?
J’aime bien le mbalax, mais sur le continent, il y a beaucoup de styles musicaux différents. L’idée, c’est de créer un label, un lieu qui a une signature graphique et sonore et qui a une recherche esthétique, et que dans tout ce qui se produit, il y ait un travail de recherche d’une sonorité, d’une esthétique à mettre en lumière. Le projet de Woti et Jimsaan (Maison d’édition), c’est de créer une maison des humanités dans laquelle il y a la littérature et la musique. Il y aura le documentaire et le cinéma, mais aussi des espaces de recherche académiques. Je pense même à une webradio. Une sorte d’intervention culturelle avec plusieurs disciplines, canaux, approches. Avec l’idée de dire, il y a quelque chose à produire, à mettre en circulation dans l’espace de nos sociétés. Au Sénégal, il n’y a pas de vrai label. Les artistes s’autoproduisent ou vont trouver un grand label à l’extérieur. Mais je ne trouve pas encore d’espace de recherche, des gens qui vont dire : «On ne va pas juste produire des artistes. On va travailler avec eux sur le son, on va avoir une vision, on va essayer de chercher une esthétique précise, avoir un graphique design que l’on pense, mettre des textes dedans. On va soigner tout et proposer quelque chose d’exigent et qui a une signature.»

Vous n’avez pas peur d’être élitiste ?
J’assume le fait d’être exigent. Je pense que dans les arts et lettres, fondamentalement, il y a un désir d’exigence et d’avoir une forme qui est belle, et les œuvres d’art nous tirent vers le haut. Et pour moi, être élitiste, ce n’est pas un défaut (rires).

Et la logique commerciale ?
Si on fait un bon travail, ça va marcher. Je ne mets pas la logique commerciale en avant. J’ai édité Mohamed Mbougar Sarr en 2018, on ne savait pas qu’on allait avoir le Goncourt. On a fait De purs hommes, puis La plus secrète mémoire des hommes. On a travaillé pendant une année sur le texte avec lui, et ça a marché extraordinairement. Mais ce qui fait que ça a marché, c’est que c’était orienté vers la qualité de l’œuvre d’art et de l’écriture. Et au bout, on a eu une aventure extraordinaire. Je suis convaincu que si on fait le travail avec engagement, délicatesse, âme, envie, le succès peut venir. J’ai déjà l’expérience dans un autre domaine où pendant des années, on éditait des livres mais on ne gagnait pas d’argent, mais on continuait à être exigent. Et en faisant cela, on a eu un succès qui va soutenir la maison d’édition durant 20 ans. Cette année, on produit 6 albums, on n’en produira pas plus. L’année prochaine, on prend deux ou trois albums. On préfère avoir un catalogue qualité et les artistes, il faut s’en occuper. S’il y en a trop, ce n’est pas possible. On pense vraiment que la culture est importante et elle est politique. Dans un engagement sociétal, il y a plein d’espaces à investir, et l’espace de l’humanité, de la construction de la conscience humaine, des subjectivités, prend du temps.
Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU
(mamewoury@lequotidien.sn)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Previous post Bilan mondial – Patrice Motsepe, président de la Caf : «Notre objectif de voir une Nation africaine remporter la Coupe du monde à portée de main»
Next post Macky Sall : « Tambacounda va devenir un pôle économique dynamique et émergent sur la période 2023-2025 »